Accessibilité numérique : enjeux et solutions pour le e-commerce.

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers l’intelligence artificielle, ses promesses et ses avancées ultra rapides. À côté, l’accessibilité numérique, elle, est plus en marge. Un sujet jugé « moins vendeur« , qui remplit moins les salles de conférence que l’IA, souvent perçu comme une contrainte technique plutôt qu’un levier de croissance.
Pourtant, un changement majeur est en train de s’opérer en coulisses. De nouvelles obligations légales, et notamment la directive européenne sur l’accessibilité (EAA), sont venues rebattre les cartes. Cette réglementation transforme radicalement les responsabilités des entreprises, en particulier dans le secteur du e-commerce. L’accessibilité n’est plus une simple bonne pratique, c’est désormais une exigence légale qui comporte de nombreuses sanctions en cas de non-conformité.
Un marché considérable et pourtant trop souvent ignoré
Lorsqu’on évoque l’accessibilité numérique, on parle concrètement de plus d’un milliard de personnes dans le monde vivant avec un handicap, soit environ 15% de la population mondiale. En France, ce sont près de 12 millions de personnes qui sont concernées par une forme de handicap, qu’il soit permanent, temporaire ou situationnel. Cette réalité représente un marché important que la plupart des e-commerçants ignorent encore largement, souvent par méconnaissance plutôt que par volonté délibérée d’exclusion.
Le sujet du handicap ne peut pas et ne doit pas se limiter aux situations visibles. Le terme englobe une diversité de situations qui touchent potentiellement chaque internaute à un moment de sa vie. Une personne qui se casse le bras se retrouve temporairement en situation de handicap moteur pour naviguer sur un site. Un utilisateur dans un environnement bruyant est momentanément en situation de handicap auditif. Une personne vieillissante peut développer progressivement des difficultés visuelles ou cognitives. Ces situations, loin d’être marginales, concernent une part importante du trafic sur n’importe quel site e-commerce.
Alors, pour concevoir un site réellement accessible, il faut comprendre les quatre grandes catégories de handicap et leurs impacts :
- Visuel : Ce trouble ne se limite pas à la cécité totale, qui nécessite des lecteurs d’écran pour vocaliser le contenu. Il inclut aussi la basse vision, où les utilisateurs ont besoin de zoomer l’écran jusqu’à 400 %, ainsi que les troubles de la perception des couleurs comme le daltonisme, qui rendent inefficaces les informations communiquées uniquement par la couleur.
- Auditif : Proposer des sous-titres pour les vidéos est un bon début, mais insuffisant. Pour de nombreuses personnes sourdes, la Langue des Signes Française (LSF) est la langue naturelle. Le français écrit peut alors représenter une langue seconde, complexe à appréhender, ce qui peut rendre difficile la compréhension de formulaires, de conditions de vente ou de tunnels d’achat.
- Moteur : Les difficultés motrices sont extrêmement variées. Elles vont de simples tremblements qui rendent l’usage de la souris imprécis, à l’incapacité totale d’utiliser un clavier ou une souris. Ces utilisateurs ont recours à des technologies d’assistance comme le contrôle vocal ou des contacteurs au souffle pour naviguer.
- Mental/Cognitif : Cette catégorie regroupe de nombreux troubles, comme les troubles « dys » (dyslexie, dyspraxie). L’un des exemples les plus frappants est la dyscalculie, un trouble de l’apprentissage du numérique. Une personne atteinte de dyscalculie peut se retrouver complètement bloquée par un simple captcha demandant de résoudre l’addition « 10 + 2 ».
C’est la loi, et votre site e-commerce est très probablement concerné
« Ça ne nous concerne pas. » Combien d’entreprises se réfugient encore derrière cette illusion ? Une erreur coûteuse. Depuis juin 2025, la directive européenne EAA (European Accessibility Act) a élargi ses obligations bien au-delà du secteur public ou des géants du CAC 40. Le e-commerce est en première ligne. Si vous vendez en ligne, vous êtes directement visé, et les sanctions pour non-conformité peuvent être lourdes.
Contrairement aux idées reçues, les micro-entreprises ne sont pas toutes exonérées. Les seuils déclenchant l’obligation sont 10 salariés ou plus (même avec un CA modeste), OU un chiffre d’affaires annuel ≥ 2 millions d’euros (même avec 5 employés).
Par exemple : Si votre PME compte 11 salariés mais un CA de 1,5 M€, vous êtes concernés. Et si vous êtes 5 mais générez 2,5 M€ de ventes, vous êtes concernés aussi.
Et en ce sens, la majorité des e-commerces français entrent dans le scope. Et ignorance de la loi n’excusant pas, la DGCCRF (en France) peut vous demander des comptes à tout moment.
Pour faire simple, vous avez 2 obligations :
La première : viser une conformité à 100% sur le long terme, en lien avec la norme technique européenne. Un défi de taille quand on sait que le niveau moyen d’accessibilité des sites audités aujourd’hui est assez catastrophique.
Et la seconde : mettre à disposition de vos utilisateurs une déclaration de conformité à la DGCCRF. Sans cette déclaration, vous risquez plusieurs contrôles et sanctions (amendes, mise en conformité sous contrainte, etc.).
Et les sanctions pour un site e-commerce non accessible peuvent être lourdes. En France, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) est chargée des contrôles. En cas de manquement, les entreprises s’exposent à :
- Des amendes administratives pouvant atteindre jusqu’à 20 000 € pour une personne morale (et 1 500 € pour un dirigeant), proportionnelles à la gravité des infractions et à la taille de l’entreprise.
- Une mise en conformité forcée sous délai, avec des contrôles renforcés.
- Un risque de contentieux de la part d’associations de défense des droits des personnes handicapées, pouvant entraîner des dommages et intérêts en cas de discrimination avérée.
- Une atteinte à l’image de marque, avec un risque de boycott ou de mauvaise presse, surtout si le manquement est médiatisé.
Pire encore, l’inaction coûte plus cher que l’action : les coûts d’une mise en conformité en urgence (audits, refonte technique, pénalités) sont bien supérieurs à ceux d’une approche progressive et anticipée. Sans compter que chaque jour de non-conformité, c’est des clients potentiels exclus (près de 12 millions de Français concernés par un handicap, soit un marché de 20 % de votre audience).
Les pièges d’accessibilité ou quand les bonnes intentions créent des exclusions
Prenons l’exemple des carrousels. Ces derniers sont omniprésents sur les pages d’accueil des sites e-commerce, et sont un parfait exemple pour démontrer comment une fonctionnalité apparemment anodine peut devenir un obstacle majeur pour de nombreux utilisateurs. C
Au niveau de la navigation, ils deviennent souvent des pièges pour les utilisateurs naviguant au clavier. Les contrôles de diapositive sont fréquemment inaccessibles, et empêchent toute interaction. Les utilisateurs de lecteurs d’écran se retrouvent quant à eux perdus dans un flux d’informations désorganisées, sans repères pour leur permettre de comprendre la structure du contenu.
Les animations automatiques posent aussi un problème majeur. Un déroulé continu sans bouton pause peut distraire les personnes avec des troubles de l’attention (TDAH), et rendre la consultation du site extrêmement difficile. Pire encore, ces mouvements peuvent provoquer des crises chez les personnes épileptiques sensibles aux stimuli visuels.
Cependant, l’accessibilité nécessite une approche équilibrée, car une amélioration pour un type de handicap peut en créer un autre. Prenons l’exemple des boutons de sélection de capacité pour un téléphone (« 256 Go », « 512 Go ») :
Un développeur pourrait enrichir le bouton avec un nom accessible plus complet (« iPhone rose 256 Go ») pour aider les utilisateurs de lecteurs d’écran. Pourtant, cette solution bien intentionnée casse l’expérience pour les utilisateurs de contrôle vocal. Ceux-ci, voyant « 256 Go » à l’écran, donneront naturellement l’instruction « Clique sur 256 Go » – instruction que le système ne pourra exécuter, ne trouvant pas cette correspondance exacte dans le code. La règle d’or pour éviter ce type de conflit : le texte visible doit toujours être inclus dans le nom accessible. Cette approche garantit que toutes les technologies d’assistance (lecteurs d’écran, commandes vocales, navigation clavier) puissent interagir correctement avec l’élément.
De plus, face à la complexité de l’accessibilité, de nombreux plugins promettent de rendre un site conforme « en un clic« . Ces outils, souvent présentés sous forme d’icônes permettant d’ajuster les contrastes ou la taille du texte, donnent l’illusion d’une solution simple.
Pourtant, leur efficacité est très limitée car non seulement ils agissent uniquement sur une surcouche visuelle, ils ne permettent pas de résoudre pas les problèmes structurels du code, mais en plus ils ignorent complètement les besoins des utilisateurs de lecteurs d’écran ou de commandes vocales puisqu’ils ne corrigent pas les problèmes de navigation au clavier
Un outil ne peut pas réparer un site mal conçu. Au contraire, l’accessibilité véritable nécessite de repenser chaque aspect du site.
Une structure claire avec des titres hiérarchisés (h1 > h2 > h3), des liens d’évitement et une sémantique HTML rigoureuse permet à tous les utilisateurs de s’orienter naturellement. L’objectif est de permettre une compréhension immédiate de la structure, sans avoir à parcourir chaque élément linéairement.
Chaque élément visuel doit avoir une alternative textuelle qui transmet l’information commerciale essentielle. Une simple « chaussure rouge » devient « Nike Air Zoom Pegasus 40, coloris Rouge Intense avec détails blancs sur le logo Swoosh, semelle intermédiaire en mousse React pour un amorti optimal, idéale pour la course sur route ». Cette description permet aux utilisateurs de prendre une décision d’achat éclairée.
Chaque étape doit être parfaitement navigable au clavier, avec des messages d’erreur clairs (« Erreur : le code postal doit comporter 5 chiffres. Champ : 7500 ») et des validations explicites (« Étape 2/4 : Paiement – Montant total : 129,99 € »). Aucun utilisateur ne devrait se sentir bloqué par des éléments décoratifs ou des formulaires mal conçus.
Mais si l’accessibilité peut sembler complexe, elle représente aussi une formidable opportunité. En repensant votre site pour le rendre accessible à tous, vous :
- Vous conformez à la réglementation en vigueur
- Évitez les sanctions et risques juridiques
- Ouvrez votre marché à des millions d’utilisateurs actuellement exclus
- Améliorez l’expérience pour tous vos visiteurs
- Renforcez votre image de marque inclusive
Vous êtes aussi responsable de l’accessibilité des commentaires de vos clients
Autre conséquence importante de la nouvelle norme européenne qui est aussi l’une des plus méconnues et des plus impactantes pour les sites e-commerce : « tous les contenus qui vont être publiés doivent être accessibles« . Cela ne s’applique pas uniquement au contenu que vous créez, mais aussi à celui créé par vos utilisateurs sur votre plateforme.
Si votre site permet aux clients de laisser des commentaires et d’y joindre des photos ou des vidéos, vous devenez responsable de l’accessibilité de ce contenu. Concrètement, vous devez fournir à vos utilisateurs les outils nécessaires pour qu’ils puissent rendre leur propre contenu accessible.
Par exemple, si un client publie une photo de sa nouvelle machine à café en commentant « elle est incroyable dans ma cuisine elle fait très jolie avec sa couleur pourpre« , votre interface de commentaire doit lui permettre de spécifier si cette image est purement décorative ou, si elle est informative, afin de rédiger automatiquement une description textuelle (le fameux texte « alt »).
Et ça, c’est un gros changement. Chaque nouvelle fonctionnalité qui permet aux utilisateurs de créer et publier du contenu (avis, forums, etc.) doit être conçue dès le départ avec cette contrainte en tête. Vous n’êtes plus seulement responsable de votre site, mais aussi des outils que vous mettez à disposition de votre communauté.
L’accessibilité numérique doit être intégrée dès le début du projet car tenter de corriger un site existant est une tâche compliquée et coûteuse. C’est le chemin vers des situations complexes où les développeurs font face à des audits catastrophiques et où les directeurs artistiques s’entendent dire : « Mais pourtant j’avais fait un super choix, j’ai mis un super carrousel incroyable et il est pas conforme. »
La seule approche viable est de former vos équipes (designers, développeurs, chefs de projet) pour que les bonnes pratiques soient appliquées à chaque étape de la conception et du développement.
L’accessibilité n’est plus un sujet annexe ou une case à cocher. C’est un pilier fondamental de la conception web, une obligation légale et une démarche stratégique. Alors que les réglementations se durcissent, la question n’est plus de savoir s’il faut s’y conformer, mais comment.
Au-delà de la conformité légale, quel est le coût réel d’exclure des millions de clients potentiels de votre activité ?
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